La rémunération du rédacteur, constat de la dépréciation d'un savoir-faire
Il est un métier qui fait parfois fantasmer : l’écriture. « Vivre de sa plume » est une promesse gratifiante – sur le papier ! – toutefois, la réalité tendrait à devenir plutôt : « Survivre avec sa plume ». Quelle est donc la réalité de la rémunération d’un rédacteur ? Avant tout, qu’implique l’écriture pour autrui ?
ÉCRIRE POUR AUTRUI, CE N’EST PAS JUSTE « ÉCRIRE »
Un bon niveau de rédaction permet-il automatiquement de savoir écrire pour les autres ? Nous, écrivains professionnels, connaissons ces histoires de l’ami professeur de français qui rédige une biographie, car il « sait » écrire, et qui transcrit de façon linéaire et monotone un récit de vie qui aurait mérité un savoir-faire particulier. Ou « le copain bon en orthographe », qui corrige le roman autoédité en laissant de nombreuses fautes d’orthotypographie. Et la forme impacte le fond, nous le savons tous…
Savoir « bien écrire » ne suffit pas
L’acte d’écrire pour autrui implique un grand nombre de paramètres qui ne se limitent pas à « savoir bien écrire », même si ce critère en constitue la base. Le rédacteur, surtout lorsqu’il intervient en tant que prête-plume, se glisse dans la main de celui qui signe le texte. Il a besoin de connaître son style, voire sa personnalité. Il doit aussi s’intéresser au contexte dans lequel cet écrit sera diffusé, en comprendre les enjeux, l’implicite, faire des recherches. S’interroger aussi sur les futurs lecteurs et leurs attentes. Chaque rédacteur a son propre style ; cependant, ici, il s’agit de se poser en technicien de l’écrit avec un cahier des charges qu'il faut respecter, voire dépasser, car il peut être nécessaire d’aller au-delà des attentes pour anticiper l’impact de l’écrit.
Savoir corriger orthographe et grammaire ne suffit pas
S’agissant de la correction professionnelle, ce n’est pas « juste » vérifier la grammaire et l’orthographe, c’est aussi contrôler la syntaxe, l’usage des mots, le style, et ajuster la typographie, celle que l’on connaît en tant que lecteur sans en prendre conscience, qui nous saute aux yeux lorsqu’elle est mal employée. Le correcteur a un œil particulier dont la précision a été mesurée par la technique de l’eyetracking. Il explore de façon linéaire et rigoureuse l’intégralité du texte. En 2021, un certificat de compétence professionnelle (CCP) de spécialisation en révision et correction de texte multisupport a été créé par la Commission paritaire nationale de l’emploi (CPNE).
L’écriture pour autrui : un métier à part entière
Ainsi, pour être un professionnel de l’écrit, il faut apprendre, s’entraîner, exploiter les retours d’expérience pour progresser, se tenir au courant des évolutions de la langue, peaufiner ses connaissances, sa culture générale, sa compréhension des organisations, de la société, de l’autre en général et développer son savoir-faire pour être efficace et répondre à toutes les demandes. C’est un métier à part entière avec un niveau de compétence qui s’acquiert au niveau théorique puis au fil de l’expérience. Alors, quels sont les tarifs attendus par les utilisateurs ?
LES TARIFS PROPOSÉS POUR DE LA RÉDACTION
Le SMIC horaire net au 1er mai 2023 était de 9,12 €. Le prix moyen d’une heure de cours de musique est de 30 €. Un architecte est rémunéré entre 70 € et 120 € l’heure, et l’avocat facture entre 100 € et 300 €. Le tarif horaire du rédacteur est souvent de 60 € brut, soit 49,55 € net (en tant qu’indépendant, souvent en autoentreprise, il a 21,1 % de charges sociales). Quels sont donc les tarifs proposés par les utilisateurs ?
Des prix tirés vers le bas
Des entreprises qui vendent des comptes rendus de réunion proposent entre 65 € et 125 € l’heure audio. Un rédacteur confirmé a besoin de quatre heures pour transcrire et rédiger une heure d’enregistrement sous réserve que celui-ci soit de qualité, d’un niveau de technicité simple, avec un nombre de participants réduit dans une réunion où chacun s’écoute parler… Sinon, la descente sous le SMIC horaire est rapide, car la prestation a été vendue au forfait. C’est donc au minimum cinq heures de travail rémunéré entre 13 € et 25 € de l’heure (entre 22 % et 42 % du tarif du rédacteur). Le client final ne sait pas que la prestation vendue a été bradée en sous-traitance, le coût horaire — qui peut paraître généreux — est donné pour une heure audio, mais pas pour une heure de travail effectif. Avec le temps, les conditions de vente de ce type de prestation se sont durcies, ce qui impacte toute la chaîne jusqu’au rédacteur. Certains d’entre eux exercent cette activité en complément de revenu, tandis que d’autres fournissent une prestation de mauvaise qualité pour garantir une rémunération horaire décente. Les rédacteurs, souvent non professionnels, qui acceptent ces conditions, contribuent à tirer le marché vers le bas.
Internet aussi casse les prix
Beaucoup de sites internet font appel à des entreprises pour rédiger leurs contenus. Derrière la prestation de ces sites se trouvent aussi des rédacteurs spécialisés dans le web qui prennent en compte le SEO, le référencement naturel, en plus de leurs compétences habituelles. Ces plateformes mettent en concurrence les rédacteurs, et le temps effectif est rémunéré au niveau du SMIC horaire, soit 18 % du tarif du rédacteur.
D’autres secteurs n’échappent pas à cette tendance
Pour la rédaction de biographie — une prestation qui demande, en plus des techniques d’écriture, un rapport à l’autre empreint de respect, de bienveillance, d’écoute, et bien entendu de savoir-faire —, on trouve aussi des prestataires qui « savent » écrire et qui se « bombardent » biographes, ainsi que des sociétés qui proposent des services « clé en main » dont le coût horaire est très faible.
L’ÉVOLUTION DU MÉTIER
Au-delà de ce modèle économique assez courant qui consiste à faire du profit en offrant une faible rémunération à ceux qui constituent le cœur même du produit, une menace beaucoup plus importante pèse sur la rétribution des rédacteurs : l’IA générative.
L’irruption de l’intelligence artificielle
Cette intelligence artificielle qui permet, grâce à des outils comme ChatGPT, de produire des textes répondant au plus près du cahier des charges (bien exprimé !) du donneur d’ordre. Certains d’entre eux, vraisemblablement de plus en plus nombreux, s’en contenteront. Un chargé de communication réussit, avec l’expérience, à automatiser environ 30 % à 40 % de l’écriture d’articles et de billets sur les réseaux sociaux. Ces textes se révèlent globalement satisfaisants pour un usage courant, même s’ils restent très formatés et nécessitent une relecture. Il s’agira alors pour le rédacteur d’apporter un « petit supplément d’âme » qui constituera une valeur ajoutée pour distinguer son texte d’une production automatisée, sous réserve que le donneur d’ordre ne préfère pas à ce travail onéreux la facilité d’un écrit gratuit qu’il considère comme étant « suffisant ». Le risque d’accentuer la baisse des exigences de communication écrite ne devrait que se renforcer, avec cette possibilité de créer rapidement et artificiellement du texte. Notre société, qui souffre déjà du formatage et de la limitation de son lexique pour une communication juste, pourra-t-elle se passer d’un professionnel qui met ses compétences et son humanité au service d’un écrit puissant ? Oui, pour certains.
Peut-on remplacer les qualités humaines du rédacteur ?
Le rédacteur, lorsqu’il exerce la fonction de prête-plume, n’est pas « seulement » un écrivain. Il est aussi un partenaire à l’écoute surtout lorsqu’il élabore un écrit ayant pour vocation d'être publié sous la forme d’un livre, même dans un cercle limité (monographie, essai, biographie, livre blanc ou tout autre écrit « long »). Il n’est pas l’auteur du livre, il n’endosse pas la responsabilité du contenu. Cependant, il en porte la responsabilité morale, notamment à l’égard de son client. Sa valeur ajoutée, en plus de ses qualités d’écoute, consiste à rédiger un livre avec toutes les contraintes d’organisation intellectuelle, la nécessité de susciter l’intérêt du lecteur, la rigueur et la fidélité du propos pour que l’auteur du livre signe ce dernier en étant pleinement satisfait de son contenu et en ayant le sentiment d’en avoir été le rédacteur. Il s’agit là d’une collaboration qui repose sur un savoir-faire pointu, de la polyvalence, une grande rigueur et de l’expérience, car écrire un livre ne s’improvise pas. Il est aussi inconcevable de recommencer une publication au motif que la précédente n’est pas satisfaisante !
EN CONCLUSION
Face à l’exigence d’une rentabilité établie au détriment de rémunérations décentes, et face au développement de l’usage de l’IA générative dans le rédactionnel, l’écrivain professionnel joue encore de son expertise, de ses savoir-être et savoir-faire éprouvés grâce auxquels il valorise le texte qu’on lui confie. Ces atouts lui permettent de faire la différence et de continuer à exister sur un marché où l’écrit s’est « marchandisé » jusqu’à devenir une « matière première » obtenue à moindre coût. Comme tout travailleur, a fortiori spécialiste dans son domaine, l’écrivain professionnel doit être rémunéré à sa juste valeur. Une revendication qui n’est étrangère à personne !
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